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Un sentiment d'extase et de mélancolie

Interview avec buren

Entretien
17.09.25

Fin 2012, Oshin Albrecht et Melissa Mabesoone ont cofondé le collectif buren. Buren fonctionne à la fois comme un nom et un verbe ; un terme générique qui désigne leur pratique et leur mode opératoire. À travers la performance, la vidéo, le texte, les objets, la photographie et l'installation, elles oscillent entre les notions de communauté, de domesticité, de genre, d'histoire (de l'art) et de fantasmes néolibéraux. Depuis 2023, le collectif buren est artiste en résidence au Kaaitheater. Nous les avons rencontrées pour une interview deux semaines seulement avant la représentation de shoe/farm – a family business au BRONKS. Nous avons discuté de leur résidence, de la signification de « beyond the black box » (au-delà de la boîte noire) et de ce que cela faisait de se retrouver soudainement à quatre sur scène au lieu de deux.   

Interview par Mara Ittel & Dagmar Dirkx

Vous trouverez l'interview vidéo ici. 

 

 

Comment se passe votre résidence au Kaaitheater ? Sur quoi travaillez-vous actuellement ?  

Melissa Mabesoone : Tout d'abord, nous avons été très heureux·se·s de pouvoir prolonger notre relation avec Agnes (Quackels) et Barbara (Van Lindt). Nous avons rencontré Agnes en 2012, lors de la création de buren, au BUDA Kortrijk. C'était agréable de continuer à discuter avec elles, tout en menant notre pratique à Bruxelles et à Gand. D'avoir un dialogue entre ces deux villes. Bien sûr, le Kaaitheater est également en rénovation. Mais c'était très intéressant de voir comment ces allers-retours entre les lieux influençaient notre pratique.   

Oshin Albrecht : Entre-temps, nous avons publié un livre. Il s'agit d'un graphic novel basé sur notre spectacle SPARE TIME WORK. Comme il s'agit d'un spectacle très musical et que nous avons toujours voulu enregistrer un album, le livre a désormais la forme d'un vinyle. Il a été réalisé en collaboration avec Het Balanseer. Nous l'avons présenté à VROOM, où nous avons réalisé une petite installation et une session au cours de laquelle nous avons chanté les paroles et le texte du livre.  En fait, pour l'instant, nous travaillons sur un véritable album. Il sera basé sur les chansons de SPARE TIME WORK et de notre nouvelle pièce, shoe/farm – a familiy business.   

Pouvez-vous nous présenter votre nouvelle pièce shoe/farm – a family business  

MM : D'accord. Avec ou sans guitare ? (rires) 

OA : Nous avons également besoin de la batterie. C'est une performance très musicale. Vous pouvez imaginer qu'il y a une guitare en arrière-plan et une guitare basse.  

MM : Peut-être de la batterie fabriquée à partir de boîtes à chaussures. Les talons claquent et vous voyez différentes silhouettes. Le monde dans lequel vous venez d'arriver est une ferme à chaussures, une entreprise familiale fictive. Une entreprise familiale où l'on cultive des chaussures.  

OA : Exactement. Tout le monde dans la ferme porte des jeans. Parfois à l'envers, parfois non.   

MM : Il y a différents chevaux de trait... Mais il est peut-être important de préciser que la pièce s'inspire des lieux où nous avons grandi. Oshin a grandi dans un magasin de chaussures et moi dans une ferme. Nous voulions faire quelque chose en rapport avec notre passé et notre enfance. Il y avait des idées sur le travail et sur les loisirs que nous avons explorées dans SPARE TIME WORK. Mais maintenant, nous voulions nous intéresser davantage à certains espaces spécifiques. Dans la prélude que nous avons présentée l'année dernière, shoe/farm – a prelude, nous avons exploré le monde de la chaussure et celui de la ferme. Mais maintenant, nous partons vraiment de la contamination, de la transformation des deux. Cela devient donc une entreprise fictive, une famille fictive, une ferme de chaussures, une entreprise familiale. Cela signifie que nous sommes quatre personnes sur scène. La pièce reflète l'évolution des modes de production au fil du temps. Nous passons de l'ère préindustrielle (plus ou moins) au capitalisme tardif. Des objets fabriqués à la main et en étroite relation avec la nature à l'évolution de la production à l'ère du commerce en ligne. 

OA : Et aussi comment le fonctionnement d'un magasin a évolué au fil du temps. Qu'est-ce que la servitude, par exemple ? Et qu'est-ce que cela signifie par rapport au fait d'être l'héritier·ère d'une famille ? Tout en étant employé·e dans une entreprise familiale ? Ce sont les questions que nous essayons d'explorer dans ce spectacle.   

MM : Et aussi ce que signifie choisir sa propre voie... alors que l'on a aussi...   

OA : ...des privilèges.   

MM : Oui, ou l'opportunité ou le choix que cette question se pose. Voulez-vous reprendre l'entreprise familiale ? C'est déjà une question très spécifique. Pour la pièce, nous travaillons ensemble sur scène avec Katja Dreyer et Léa Dubois. Katja est moitié allemande, moitié slovaque (elle a également créé une pièce à ce sujet qui a été présentée au Kaaitheater) et Léa est belge, mais originaire de la partie francophone. Ces origines, ainsi que leurs propres relations familiales, ont également influencé la pièce.   

Comment s'est passée cette collaboration à quatre, au lieu de vous deux ? On imagine que vous avez développé certaines méthodes de travail au fil des ans ? 

OA : Eh bien, je venais d'avoir un bébé, donc c'était déjà une situation un peu différente pour nous. Mais c'était super intéressant de voir comment traduire notre univers, notre façon d'utiliser les textes, notre façon de construire une scène... à d'autres personnes. Parce que notre façon de travailler est très rythmée. Il y a une sorte de compréhension mutuelle entre nous qui s'est formée au fil des ans. Nous cherchions donc des moyens de traduire cette compréhension. Bien sûr, ce processus est toujours en cours. Ce n'est pas quelque chose qui se fait en trois ou quatre mois. Pour nous, c'était bien d'avoir la shoe/farm – a prélude. C'était une belle base de départ. Nous avons également fait des improvisations avec les interprètes, afin qu'ils puissent aussi apporter leur imagination. Physiquement aussi. Ensuite, nous avons continué à construire à partir de là.   

MM : Je trouve ça très cool. Bien sûr, c'est aussi un défi. C'est la première fois que nous créons vraiment une pièce pour le black box avec un groupe. On commence à prendre conscience du poids de son travail, parce qu'on travaille avec d'autres personnes. Comme l'a dit Oshin, il y a ce langage tacite que nous avons développé au fil des ans. Le fait de le partager avec d'autres vous fait également prendre conscience des choses que vous trouvez importantes. Comme le sens de l'humour ou un style de performance. Très souvent, ce sont les nuances les plus subtiles qui sont les plus difficiles à transmettre aux autres.   

Comment avez-vous trouvé les deux interprètes ?   

OA : Katja Dreyer nous intéressait, car nous l'avions vue dans d'autres œuvres et étions intrigué·e·s par sa manière d'aborder l'histoire personnelle. Et aussi l'aspect politique de l'histoire personnelle. Nous avons pensé que cela apporterait un plus à cette pièce. Au départ, nous devions travailler avec Calvin Carrier, mais nos agendas ne correspondaient plus. Nous avons donc décidé d'organiser des auditions, et c'est là que Léa s'est présentée. Nous avons tout de suite accroché. 

MM : Au départ, nous pensions qu'il y avait peut-être des similitudes entre l'apparence physique de Calvin et moi, et celle de Katja et Oshin. Une sorte de ressemblance « familiale ». Mais pendant les auditions, nous nous sommes davantage concentré·e·s sur l'énergie et avons laissé libre cours à notre imagination. Nous aimons quand les gens adhèrent très rapidement à nos idées. Le parcours de Léa en tant que danseuse et son humour ont vraiment apporté un plus. C'était la première fois que nous créions une pièce en tant que « famille élargie ». C'était également agréable que Katja et Léa soient toutes deux parents, pour cette pièce également.   

Shoe/farm – a family business fait partie de Beyond the Black Box. En quoi pensez-vous que cette pièce remet en question les codes du black box ?   

OA : Depuis le début de notre collaboration, nous réfléchissons à l'importance de travailler avec les codes propres à certains espaces. Nous essayons d'avoir cet échange avec un environnement ou un espace, de déplacer un peu les choses. Pour shoe/farm – a family business, nous commençons par des scènes plus picturales, où le public « consomme » vraiment ce qu'il voit. L'idée du magasin, de la consommation, est mise en avant. En même temps, nous essayons d'impliquer le public à certains moments. Comme notre travail est très musical, il comporte un aspect divertissant. L'idée de consommation en relation avec les arts du spectacle fait partie de notre travail depuis un certain temps.  

MM : Dès que nous avons commencé à travailler dans le black box, nous n'avons pas pris pour acquis le fait d'être là. Nous étions très conscient·e·s de la relation de pouvoir qui existe dans les deux sens. Le public paie un billet et est prêt à être diverti, comme l'a dit Oshin. Il y a aussi la relation de pouvoir que vous avez en tant que créateur·ice·s et interprète vis-à-vis du public. Vous pouvez décider de ce qui est vu. Et comment. De quel côté. Comme pour la scénographie. Nous avons trouvé cela très intéressant. Mais aussi : si vous pouvez disposer de la scène, que voulez-vous en faire, que voulez-vous dire ? 

OA : Quelqu'un a dit un jour que nous utilisions la scène comme un terrain de jeu critique. Je trouve cette citation très juste. On parle généralement de Beyond the Black Box comme d'un mélange de formes, de genres. Mais peut-être que cela peut aussi être ce qui se passe 'beyond the black box', lorsque vous quittez le théâtre ? Lorsque vous rentrez chez vous, que vous marchez dans les rues et que vous regardez les vitrines ? Comment vous commencez à penser à votre propre famille ? Etc.  

Comment voyez-vous au-delà du black box en relation avec le monde de l'art lui-même ? Vous parlez de « homegrown » et « self-made », ce qui renvoie bien sûr au monde des magasins de chaussures et des fermes, mais comment ces termes s'appliquent-ils à vous en tant qu'artistes ? 

MM : Je me suis rendu compte que lorsque nous décrivons notre travail, nous parlons souvent de notre formation visuelle. Il s'agit principalement d'études suivies pendant quatre ans, alors que nous travaillons comme artistes professionnels depuis plus de dix ans. Je pense que c'est plutôt un point de départ. Je pense, par exemple, que lorsque nous décrivons notre travail, on ne peut pas dire qu'il s'agit de musique, de théâtre ou de danse... Ce n'est pas le cas, car c'est tout cela à la fois. Mais en tant qu'artistes, nous trouvons qu'il est vraiment important d'élargir ces concepts, d'être ludiques et de nous mettre au défi de voir ce qui est possible dans ces limites. Et puis, nous espérons trouver des personnes qui soutiennent cette pratique en cours de route. Car c'est en quelque sorte le plus difficile. Souvent, quand on ne peut pas être « catalogué », on ne peut pas être programmé ou obtenir des financements aussi facilement. 

Avez-vous une routine particulière avant de monter sur scène, comme un rituel ou quelque chose de ce genre ?  

OA : Dormir ! Dix minutes, une sieste réparatrice.   

MM : Nous aimons aussi manger tôt. Beaucoup d'artistes mangent après leur spectacle, mais nous préférons manger vers 17 ou 18 heures. J'aime aussi sortir, mettre de la musique dans mes oreilles et danser. Par exemple, sur un parking. Parfois, nous dansons un peu ensemble, ce qui nous permet de faire notre soundcheck en même temps. Et nous nous pinçons les uns les autres avant d'entrer en scène. Have fun... Toi toiiii.   

Comment voulez-vous que le public quitte votre spectacle, ou qu'espérez-vous lui transmettre ?  

OA : Un sentiment d'extase et de mélancolie à la fois.  

MM : Oui, c'est comme nous le chantons :  

(ensemble)   

 

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