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Ode à la proximité

pensées en progrès

Nouvelles
01.06.20

[de brief in het Nederlands] [the letter in English]

pensées en progrès

Cher public,

Vous savez sans doute déjà que cette saison, vous n’assisterez plus à des spectacles dans nos salles. Au mois de mai et juin, le Kaaitheater et les Kaaistudio’s resteront vides et nous n’avons donc pas de programme à vous communiquer. Néanmoins, nous avons décidé d'écrire cette lettre, pour entretenir les liens, pour vous permettre d’entrevoir nos activités du moment et pour partager notre regard sur la situation actuelle. Nous vivons une période d’intense remise en question, de réflexion prospective et de représentation d’un futur inconnu.

Lors d’une réunion d’équipe – en visioconférence – au début du mois d’avril, le silence s’est installé lorsque nous prenions conscience de la liste des spectacles annulés qui ne cessait de s’allonger. Tant de travail de tant de gens qu’on ne pourra pas montrer et qui ne sera donc jamais vu. Il n’était plus question d’une brève interruption ; le vide qui s’immisçait ébranlait notre raison d’être : le Kaaitheater existe pour que les artistes aient la possibilité de travailler et pour que le public puisse voir ce travail. Un sentiment d’inutilité menaçait de nous assaillir. Pourtant, nous ne sommes pas tous tombés au chômage.

Annuler tous ces spectacles et ces conférences n’était pas une mince affaire : il a fallu mener beaucoup de discussions avec les artistes, les compagnies, les free-lances, les coproducteurs, nos partenaires et nos spectateurs. Reporter, remanier, négocier et puis communiquer. Ce n’est pas un hasard que les collaborateurs du Kaaitheater en chômage temporaire sont précisément ceux qui, en temps normal, permettent le déroulement des activités en direct : nos techniciens qui montent et démontent les productions, notre équipe du soir qui accueille le public, nos collaborateurs qui assurent l’entretien et le nettoyage de nos espaces.

Plus que jamais, nous prenons conscience que les arts du spectacle vivant existent par la grâce d’un groupe de gens qui forme un ensemble : un public. Aller au théâtre signifie, par essence, se réunir. Et l’évidence de cette expérience collective est désormais suspendue.

où trouver du réconfort ?

Comme pour tout chagrin, une tentative de remplacement, de quête de ce qui ressemble à ce qui est perdu n’offre que bien peu de consolation. Au cours des dernières semaines, on a pu visionner en ligne d’innombrables captations vidéo de spectacles. Cela permet certes de voir, ou revoir, des créations, mais ces expériences restent toutefois de l’ordre des archives, du document, comme des échos de ce qui ne peut se réaliser ou ne peut atteindre la forme souhaitée.

Une expérience de deuil difficile et collective paraît néanmoins avoir le potentiel de stimuler l’empathie de chacun. Vous avez massivement répondu à notre requête de renoncer au remboursement de vos billets et avez ainsi soutenu la cagnotte de solidarité. De nombreux gestes généreux ont suivi, souvent accompagnés de messages attentionnés. Nous vous en remercions du fond du cœur. Vos dons offriront un peu d’oxygène aux artistes et aux free-lances dont les spectacles ont été annulés.

Nous puisons aussi du réconfort dans la magnifique profusion de nouvelles formes d’activités (créées pas des artistes, des festivals et des organisations culturelles) qui s’adaptent aux (im)possibilités d’autres médias, en ligne ou hors ligne.

Aux artistes qui étaient au programme ce printemps, mais qui n’ont pas pu se produire sur nos scènes, nous avons posé la question suivante : « que souhaiteriez-vous partager — aujourd’hui — avec le public du Kaaitheater ? » Plus loin, vous pouvez trouver les réactions de Rimah Jabr & Dareen Abbas, Gorges Ocloo, Vera Tussing, Peter Vandenbempt et Michiel Vandevelde.

une stratégie d’ouverture

Aujourd’hui, le 20 avril 2020, plus personne ne s’émeut d’une nouvelle annulation d’un festival, même prévu pour la fin de l’été. Nous sommes de plus en plus nombreux à être touchés, à voir s’évaporer les dynamiques de fêtes, de premières et d’activités collectives. Les plus durement touché.e.s par le confinement sont indéniablement les hommes, les femmes et les enfants vulnérables. Ceux qui ne disposent pas de filet de sécurité et qui ne savent pas à quel saint se vouer. Petits indépendants, artistes, réfugiés.

Après plus d’un mois, l’impact de la crise est tel qu’il en est devenu insondable. Et en même temps, nous sentons tous qu’un autre temps fort s’annonce : la possibilité de remettre en question les grands rapports et dynamiques systémiques et de faire des propositions de changement. Le nombre d’articles d’opinion, de tribunes, d’appels et d’analyses d’autant de scientifiques, de chroniqueurs ou d’activistes atteint un nouveau sommet et s’articule autour d’une « stratégie de sortie ». Mais ce terme n’induit-il pas en erreur ? Nous sommes encore très loin de pouvoir dire que la crise est derrière nous. Et il nous faut trouver des perspectives pour un monde avec ce virus, un nouveau terrain dans lequel il faudra se mouvoir différemment. Ne serait-il pas plus pertinent de parler d’une « stratégie d’ouverture » ?

que peut signifier le Kaaitheater dans un monde où il faut (apprendre à) vivre avec un virus qui paralyse la vie publique ?

Les certitudes et les habitudes qui nous sont familières ne sont plus de mise. Nous faisons face à une question qui ne tolère pas de solution simpliste. Nous devrons aller à la rencontre de cet avenir inconnu et insaisissable à coups de manœuvres. Cela signifie spéculer, oser, agir, réfléchir, adapter, recommencer. Bref, apprendre. Demander des conseils et de l’aide aux autres, aux artistes, aux experts… Et naviguer en étant guidés par nos convictions et nos valeurs.

L’expérience collective et l’échange sont le point de départ, à quelque échelle que ce soit. Nous suivons une piste de recherche de modes (alternatifs) de réunion plutôt que des alternatives au rassemblement. Nous considérons le théâtre comme un élément de la sphère publique et l’espace public comme un possible terrain de jeu.

Le programme quasi bouclé de la saison 2020-2021 fluctuera intensément en fonction des courbes et des directives. En concertation avec les artistes, nous chercherons de nouvelles possibilités de porter la création artistique au public. En raison de l’imprévisibilité des prochains mois, nous avons décidé de ne pas publier de brochure de saison, mais de lancer notre nouveau programme uniquement en ligne – ce qui nous procure davantage de flexibilité.

Nous réfléchissons même à plus long terme : durant ces dernières semaines, nous avons beaucoup songé à notre nouveau complexe de théâtre, en tandem avec l’atelier d’architecture Ambiorix et la Communauté flamande. Ensemble, nous investissons dans un bâtiment pour le spectacle vivant des décennies à venir. Il comportera deux salles (qui contiendront ensemble quelque 900 sièges) dans lesquelles vos coudes s’effleureront plus d’une fois. Nous prévoyons aussi de plus petits espaces pour le public et un grand balcon urbain à ciel ouvert. Autant ce nouveau projet peut sembler en contradiction avec la nouvelle réalité, autant nous le voyons comme un « acte de foi » : nous croyons qu’en leur qualité d’expérience collective, les arts du spectacle vivant occuperont une place durable dans la société de demain.

Vous vous demanderez peut-être comment refaire partie d’un public dans une telle réalité. Un groupe de gens dans l’espace public porte aujourd’hui le nom « d’attroupement » et est délictueux. À présent que nous assumons collectivement notre responsabilité en vivant confinés et en maintenant nos distances avec les autres, il ne sera pas facile de nous libérer – un jour – du conditionnement que le coronavirus nous a imposé.

N’oublions pas que c’est précisément ce sens des responsabilités – et surtout la confiance que nous lui accordons – qui veillera à ce que la proximité soit à nouveau possible.

Sans doute un différent type de proximité, avec de nouveaux rituels et usages, sous d’autres formes, dans un monde différent. C’est à cela que nous nous préparons.

 

Cordialement,

Agnes Quackels & Barbara Van Lindt
Coordinatrices générales et artistiques du Kaaitheater

 


* À présent, vous avez déjà collectivement reversé €35 218.