Soirée composée

Ensemble Explorations, Laïla Amezian & Erwin Vann et l’art de la séduction

Cette année, le leitmotiv du festival Klara 2006 est la tentation. Le répertoire des musiques du monde comprend de multiples compositions qui déclinent les thèmes de l’attirance, de l’enchantement et de la séduction. Ce thème réfère tout autant au charme irrésistible qu’exerce la musique elle-même en tant que discipline.

Cette Soirée composée relie trois éléments. Roel Dieltiens et son Ensemble Explorations interpréteront le Quatuor pour la fin du temps d’Olivier Messiaen. Vous verrez des images inspirées de Der Erlkönig, l’œuvre de Schubert d’après la ballade du même nom de J.W. Goethe. La chanteuse belgo-maghrébine Laïla Amezian et le saxophoniste de jazz Erwin Vann présentent un volet de programme basé sur des opéras occidentaux datant de la seconde moitié du XIXe siècle.

Messiaen
Messiaen a écrit le Quatuor, une composition en huit mouvements pour violon, clarinette, violoncelle et piano, en 1940-1941 lorsqu’il était prisonnier de guerre au camp Stalag VII-A en Silésie. La partition est accompagnée d’une citation de la Bible, plus précisément de l’Apocalypse de Jean. Dans cette description de la fin des temps, le septième ange annonce « qu’il n’y a plus de délai » et que lorsqu’il soufflera la trompette, « le Mystère de Dieu s’accomplira ». Bien que Messiaen ait composé cette musique dans le contexte apocalyptique de la Seconde Guerre mondiale, il faut plutôt en faire une lecture religieuse d’affirmation de foi. La composition exhale l’intemporalité et exprime le désir de paix éternelle et d’harmonie avec Dieu.

Schubert
Le quatrième Cavalier de l’Apocalypse, monte un cheval pâle. « Celui qui le montait s’appelait la Mort, et le Séjour des Morts l’accompagnait. » Dans le poème de Goethe Der Erlkönig (le Roi des Aulnes), un cavalier galope dans la nuit en quête d’aide pour son fils mourant qu’il tient dans ses bras. L’enfant délire et hallucine, du brouillard il voit apparaître le Roi des Aulnes qui le charme, le séduit et cherche à le convaincre de se laisser mourir. Schubert compose un lied où l’on entend le galop du cheval, l’angoisse du père pendant la course effrénée et la détresse de l’enfant en tons hauts et clairs. Ce poème a non seulement inspiré de multiples compositeurs, mais de nombreux plasticiens. Tous ont créé leur version de ce récit poignant. Ces images illustreront la Soirée composée.

Laïla Amezian & Erwin Vann
La troisième partie de la soirée est une création de Laïla Amezian et Erwin Vann. Lorsqu’elle a accepté de participer à la soirée composée autour du thème de la tentation, Laïla Amezian s’est mise en quête d’un lien personnel avec cette donnée. Cela l’a mené à « l’orientalisme », l’attraction que l’Orient exerce sur l’Occident, deux pôles que son histoire personnelle réunit : d’origine arabo-maghrébine, elle est née en Belgique et y a vécu toute sa vie. À travers son parcours musical (Arabanda, Oblomov, Studio Pagol…), elle témoigne de sa volonté d’assumer son appartenance à deux cultures, sans en dissimuler ou estomper la dualité mais au contraire en lui laissant libre cours.

Laïla Amezian et le saxophoniste de jazz Erwin Vann se sont plongés dans le répertoire de l’opéra de la seconde moitié du XIXe siècle, une époque où, sous l'impulsion du colonialisme, l’exotisme connaît son heure de gloire en Europe occidentale. Lakmé, du compositeur français Léo Delibes (1836-1891) raconte l’histoire de l’amour tragique d’un lieutenant anglais avec la fille d’un prêtre brahmane, dans l’Inde du XIXe siècle. Aïda de Giuseppe Verdi (1813-1901), une commande du vice-roi d’Égypte à l’occasion de l’ouverture du canal de Suez, relate les amours malheureuses du général égyptien Radamès avec l’esclave éthiopienne Aïda. Salomé de Richard Strauss (1864-1949), créé d’après le texte d’Oscar Wilde, s’inspire du récit biblique de Salomé. Invitée par le roi Hérode à exécuter la danse des sept voiles au cours d’un festin, Salomé lui demande en récompense la tête de saint Jean Baptiste …, etc.

Laïla Amezian revisite les parties chantées de ces héroïnes orientales. Erwin Vann (qui fait des arrangements) et elle analysent la façon dont les compositeurs, formés selon les préceptes occidentaux, ont introduit des éléments orientaux dans leur musique, remplacé les schémas modaux par des schémas tonals, donné la préséance aux percussions et aux cuivres et comment le rythme, la répétition et même la transe propre à la musique arabe ont infiltré leurs œuvres.

Le metteur en scène Ruud Gielens a concocté avec ces éléments divers une « soirée composée ». En résidence au KVS, Ruud Gielens a récemment mis en scène le spectacle muet de Peter Handke Le moment où nous ne savions rien les uns des autres qui a connu un franc succès au Kaaitheater.