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Savoir plus - 'A world tour of urban dance in ten cities'

Feuille de salle
20.09.21

"Un mouvement perpétuel"
propos recueillis par Fabienne Arvers et Patrick Sourd (Les Inrockuptibles, 2015).

 

Parcourir la planète pour découvrir les mille et un visages des danses urbaines: belle proposition de Cecilia Bengolea et François Chaignaud, à travers une conférence­-performance conçue avec la complicité de la danseuse brésilienne Ana Pi.

En quoi consiste cette conférence dansée?

Ana Pi: "Il s'agit d'une commande passée par Annie Bozzini, la directrice du Centre de développement chorégraphique de Toulouse, à Cecilia Bengolea et François Chaignaud pour la réalisation d'une mallette pédagogique autour des danses urbaines à présenter dans les lycées, collèges et médiathèques. Très vite, Cecilia et Francois ont décidé que cette conférence devait être performative, donc dansée ... C'est ainsi qu'ils m'ont associée depuis le début à sa conception. Nous avons consacré un an au travail de recherche. Il fallait réunir les éléments historiques, collecter des vidéos, concevoir la plaquette illustrée par le dessinateur Juan Saenz Valiente qui est offerte aux spectateurs, sans parler du travail en studio pour maîtriser la pratique des danses sélectionnées."

Comment s'est faite cette sélection?

"Devant la profusion des danses urbaines, il était impossible d'être exhaustif. Ce tour du monde se réclame d'un voyage aussi sensible que ludique et politique, mais il est forcément subjectif. On est partis des danses qui nous étaient connues et qui nous ont amenés à en découvrir d'autres, à l'image du phénomène de contamination propre au fonctionnement des groupes qui les font naître."

A l'origine, on trouve le hip-hop ?

"Pas seulement. il y a un avant et un après et beaucoup de ramifications. Autour du hip-hop, on parle du freestyle, des battles de la breakdance, mais aussi du poppin, de la hype, du locking ... c·est un monde très ouvert où les choses bougent très vite. Né il y a quarante ans, ce mouvement s'est affirmé en culture de rue réunissant la musique, la danse, les arts graphiques et la mode, ce qui a beaucoup contribué à sa médiatisation. En écoutant les gens du hip-hop, on se rend compte qu'ils commentent énormément les autres danses."

Comment naissent ces danses ? 

"C'est un mouvement perpétuel... En Afrique, les danseurs savent ce que font les Américains, qui eux s'intéressent aux Japonais, et ces derniers regardent les Brésiliens. De nouvelles formes s'inventent sans cesse, connectant des danseurs du monde entier. Là où elles se créent, elles apportent un éclairage sur une notion qui leur est commune, la résistance à la violence extrême subie par la population des ghettos où elles émergent. La dramaturgie de la conférence témoigne de nos recherches pour conclure qu'à l'évidence, il existe une simultanéité entre l'apparition d'une danse et celle d'un conflit de société qui explose, d'un état de guerre ou d'une flambée d'émeutes."

En Afrique, notamment ?

"Oui, on l'évoque à travers deux exemples. Au temps de l'apartheid, dans les années 80, apparaît le pantsula, une danse des townships interdite par le pouvoir sud-africain. Dix ans plus tard, le kuduro, lié à la guerre en Angola, allie une musique entraînante à des mouvements brutaux où le danseur n'hésite pas à se jeter violemment  au sol... A la fin de la guerre, le kuduro s'est adouci pour devenir plus joyeux et festif. Ces danses travaillent en miroir de leur contexte sociétal. Né à Los Angeles en 1990, le krump fait suite à des émeutes raciales. Les coups de poings, les coups de tête deviennent des gestuelles chorégraphiques. Sans qu'il s'agisse d'une danse conflictuelle, elle se réapproprie les signes de la colère. Certaines danses prônent la libération du corps ... c'est le cas de la plus ancienne dont on parle, le dancehall, apparu dans les années 60 à la Jamaïque quand les premiers sound-systems envahissent les rues. Bousculant les interdits et la pudeur, le corps de la femme y est exposé sans contraintes. Bien plus tard à New York, c'est dans le Bronx, à Harlem ou Brooklyn que le voguing, apparu dans la communauté gay noire et latino, pose la question de rendre visible ceux qui sont rejetés pour leur sexualité."

Il ne s'agit pas uniquement de danses qui rassemblent?

"L'avènement des smartphones et des réseaux sociaux a changé la donne. Le dubstep ne pourrait se passer d'internet. Liée à la musique des clubs londoniens en 2000, c'est une danse solitaire ... Après s'être filmé, on poste le résultat sur Youtube ou Facebook. Le dubstep multiplie les ralentis, les retours en arrière, les bugs et des effets de montage réalisés en direct. Danse réelle s'inspirant des effets virtuels du média qui la diffuse, c'est une danse du troisième millénaire."

Ana Pi, la passeuse Impossible d'oublier la silhouette longiligne d 'Ana Pi, repérée dans les spectacles de Cecilia Bengolea et François Chaignaud, de Altered Natives Say Yes to Another Excess-Twerk (2012) au formidable Dub Love (2013) où on la retrouvait dressée comme un improbable échassier pour une performance sur ses chaussons de danse. "J'ai une formation en danse classique et moderne, précise Ana Pi. Au Brésil, le hip-hop n'est pas reconnu par l'institution, on le découvre en dehors, lors des fêtes du vendredi soir sur les toits des maisons ou sous les viaducs. Un art de l'urgence qui permet aux meilleurs danseurs de se faire respecter, d'accéder à une forme de célébrité dans son quartier mais d'une manière pacifique." Originaire de la région de Mina Gerais, dans le sud-est brésilien, Ana Pi débute ses études au conservatoire de Belo Horizonte avant de rejoindre l'université de San Salvador de Bahia. Un cursus qu'elle poursuit en France à l'université et au sein du programme ex.e.r.c.e du Centre chorégraphique national de Montpellier. "Au Brésil, les rayons des bibliothèques consacrés à la danse sont trés réduits. précise Ana Pi. En France, vous avez une tradition très ancienne d'écrire sur la danse, c'est ce qui m'a donné envie d'apprendre votre langue." Un désir de savoir couplé à une complicité née dans le travail et la pratique des plateaux fait d'elle la passeuse naturelle de cette conférence sur les danses urbaines conçue à six mains avec Cecilia Bengolea et François Chaignaud.