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Protect me from what I want

Kaaitheater 2017-2018

12.06.17

— Jenny Holzer

Au cours des deux saisons précédentes, les séries RE:THINK et RE:MAKE ont tissé un fil politico-philosophique à travers notre programmation. En notre qualité de maison des arts, nous avons ainsi tenté d’interroger la profonde dépolitisation de notre société, et ce, par le biais de conférences et de spectacles et à partir de deux perspectives distinctes. « There is no alternative! », le cri de ralliement avec lequel Margaret Thatcher a lancé la dépolitisation de la société dans les années 80, est devenu le slogan par excellence du régime néo-libéral. Le capitalisme 2.0 entraîne une dérégulation globale toujours plus radicale et se revendique comme le système ultime et idoine pour donner corps à la société de manière objective, inattaquable et non idéologique. RE:THINK s’est articulé autour de la philosophie et de la pensée théorique, la réflexion intemporelle et autonome en tant que résistance aux répercussions économiques de l’ultra-capitalisme. RE:MAKE plaidait en faveur d’une nouvelle imagination politique, de nouveaux idéaux de faisabilité, une nouvelle narration politique susceptible de remplacer les ratios économiques.

Au cours de l’année déroulée, nous avons été témoins d’une riposte violente – et couronnée de succès électoraux – des milieux de la droite (extrême) populiste. Or, l’alternative qu’elle propose ressemble plus à de la nostalgie d’un passé révolu idéalisé et atteste davantage de peur de l’avenir que d’une vision à long terme. De l’autre côté du spectre politique, il y a les mouvements citoyens issus de la société civile auxquels le secteur culturel paraît adhérer. Leurs initiatives concrètes et très diverses font preuve d’une énergie phénoménale et d’un véritable sens de l’urgence, mais n’ont pour autant pas encore mené à une résistance politique coordonnée et victorieuse. Pourquoi donc le régime néo-libéral est-il si difficile à combattre ? Il y a pourtant pléthore de causes qui devraient donner de l’élan à sa remise en question : la crise écologique toujours plus tangible, les inégalités sociales exacerbées, l’omniprésence de surmenages, dépressions et autres troubles nerveux… Tout cela révèle de manière toujours plus évidente l’aspect répulsif de TINA. Néanmoins, un trou noir béant gît entre l’incohérence des partis politiques classiques affolés, l’exploitation de l’angoisse ambiante par les populistes et la quête d’unité des organisations citoyennes.

Le philosophe germano-coréen Byung-Chul Han explique que résister est si difficile parce que le régime néo-libéral se sert de ce qu’il appelle la psycho-politique. L’être humain n’est plus assujetti ni à la merci de circonstances dans lesquelles discipline, obéissance, lois et devoirs l’aliènent de son travail. Non, dans la nouvelle société de la performance, il n’y a plus que des opportunités à saisir – moyennant un sens des responsabilités, de la motivation, le goût de l’initiative et de l’optimalisation. Dans ce régime, on ne succombe pas à des menaces extérieures mais à un excès de positivité et de suractivation intérieures. On a découvert le potentiel de productivité de notre psyché et créé un système ingénieux d’auto-exploitation qui va de pair avec une illusion de liberté individuelle. « Protect me from what I want » écrivait autrefois l’artiste états-unienne Jenny Holzer. Comment entrer en résistance contre ce qu’on pense soi-même désirer ?

Comme réaction possible, Han suggère une revalorisation du contemplatif. Déconnecter la machine positive néo-libérale pour créer du temps et de l’espace. Du temps et de l’espace dans lesquels le sens prend le dessus sur la connaissance, les usages ont priorité sur la consommation, la main qui joue serre la main qui travaille, l’événement importe plus que le projet, ne pas agir ou ne pas savoir ont également de la valeur et dans lesquels on ose regarder ce qui nous afflige, même la mort, droit dans les yeux. Voici la Vie contemplative que nous mettons une saison durant au cœur de notre programmation. RE:RITE serpente à travers le programme comme un collier de perles de pratiques contemplatives, de nouveaux rituels et d’inspirations spirituelles. Nous espérons que vous le laisserez aussi glisser entre vos doigts, ne serait-ce que le temps d’un instant.

PS
Encore ceci : le Kaaitheater devient quarantenaire. Le premier Kaaitheaterfestival a eu lieu du 5 au 15 septembre 1977 et a dû faire face dans les médias, entre autres, à la mort d’Elvis Presley, à un enlèvement par le groupe Baader-Meinhof et à l’assassinat de Steve Biko. Avec son festival, Hugo De Greef a dessiné un point sur une feuille blanche : il a insufflé vie à un réquisitoire contre ce qu’il appelait un paysage théâtral flamand sclérosé et souhaitait devenir une source d’inspiration pour tout autre chose, être une alternative. Qu’en l’occurrence l’alternative ait vu le jour et se soit concrétisée et développée mérite d’être célébré. Plus à ce sujet en septembre !