Lettre ouverte au gouvernement federal par Globe Aroma
Globe Aroma est une maison des arts située au centre de Bruxelles. À mi-chemin entre le canal et le centre touristique de Bruxelles, des dizaines d’artistes y travaillent chaque jour à construire leur œuvre dans un environnement bienveillant et sécurisé. Grâce à la collaboration avec Fedasil, l’Agence Fédérale pour l’Accueil des Demandeurs d’Asile, et avec le Petit Château, la majorité des artistes qui y sont actifs sont des nouveaux arrivants dans notre pays. Le but de cette organisation est clair : par le biais de l’activité artistique, contribuer concrètement à l’intégration des nouveaux arrivants. Nous sommes partenaires des pouvoirs publics depuis quinze années et nous participons activement à la politique du gouvernement flamand, de la Communauté flamande et de la ville de Bruxelles. Les immigrés et les chercheurs d’asile entrent ici en contact avec les valeurs artistiques et culturelles européennes. Ils se constituent chez nous un réseau social et apprennent à se familiariser avec nos coutumes et nos règles.
Nous nous devons également, en tant qu’ASBL, de respecter ces règles. Nos moyens sont limités , ils sont essentiellement constitués de subsides. Il est logique que notre manière de les gérer soit strictement contrôlée. Quiconque travaille grâce à des fonds communautaires doit viser les normes les plus élevées. Il n’est pas question chez nous de jetons de présence, de restaurants onéreux ni de voyages d’agrément, mais d’une équipe laborieuse de professionnels et de bénévoles. Nos comptes sont contrôlés annuellement par trois instances publiques différentes et notre dernier bilan annuel (2016) est consultable sur le site de la Banque Nationale. En tant que maison des arts ouverte, nous faisons tout ce qui est possible pour briller aussi par une gestion financière transparente.
Le vendredi 9 février, dans le cadre du « Plan Canal » qui lutte contre la radicalisation et le terrorisme, un contrôle pluridisciplinaire a été mené par différentes instances. Cette fois-ci, le contrôle a été mené par le gouvernement fédéral. Il est naturellement de son plein droit de demander à voir nos registres afin de vérifier si aucune faute n’a été commise. Si cela devait arriver, nous serions les premiers à admettre qu’une rectification doit être effectuée. Nous attendons sereinement le contrôle fiscal car nous sommes certains qu’il ne s’est produit chez nous aucune faute punissable.
Et pourtant, sept visiteurs ont été arrêtés, parmi lesquels deux ont été transférés au Centre fermé du 127 bis à Steenokkerzeel. Une vingtaine d’agents ont effectué un contrôle de nature disproportionnée. Tous les présents, y compris des visiteurs occasionnels, ont été, sans motif, traités comme des criminels. Les agents ont abusé de leur force, tant physique que verbale. Au total, dix-huit personnes ont été, sans raison aucune, privés pendant un certain temps de liberté. Des collègues ont été plaqués au sol et menacés d’une matraque. Les agents ne se sont à aucun moment légitimés, et n’ont dressé aucun procès verbal. Au vu de ces éléments, une plainte a été déposée au Comité P.
Parmi les personnes présentes, certaines étaient sans papiers. C’est le fait de la politique migratoire que des artistes s’entendent régulièrement signifier qu’ils sont priés de quitter le territoire. Certains le font, d’autres non. Cette décision leur revient, mais de notre part, nous ne leur faisons jamais miroiter un avenir rose. Il n’est ni de notre devoir, ni notre compétence de contrôler les identités de nos visiteurs. Et cela n’est pas notre volonté. Cela ne cadre pas avec la philosophie d’une maison des arts ouverte, et contredit une attitude qui repose sur la confiance.
Ce n’est nullement parce que des personnes sans papiers passent quelques heures par semaine dans notre « havre de paix créatif » que leur cadre de vie global se trouve protégé et qu’ils peuvent s’installer dans le confort. Chacun est, en outre, d’accord pour reconnaître que le développement culturel est l’une des armes les plus efficaces contre la radicalisation, qui est également l’objectif du « Plan Canal ». Et si nous constatons des signes douteux, nous serons les premiers à contacter les services compétents.
C’est notre mission de permettre aux personnes qui ont des ambitions artistiques de développer le meilleur d’eux-mêmes. L’expérience que nous offrons aux artistes, ils l’emportent avec eux dans leur vie ultérieure, où qu’ils se trouvent. Pour des artistes tels que Gueladio Ba, Abdalla al Omari, Kito Sino, Hussein Rassim, Shilemeza Prins et beaucoup d’autres – qui ont reçu le statut de réfugiés et ont réussi à mener ici avec succès un parcours artistique – Globe Aroma est le point de départ de leur carrière dans leur nouvelle patrie. D’autres artistes ont pu continuer à se développer durant leur séjour à Bruxelles. Grâce à cela, ils ne sont au moins pas repartis les mains vides vers leur pays d’origine. Nous espérons qu’ils peuvent en faire bon usage là-bas et qu’ils veillent qu’à terme, moins de personnes soient contraintes à venir chez nous mettre leur bonheur à l’épreuve.
Chacun reste le bienvenu chez Globe Aroma. L’inspection policière et sociale également. Mais le contexte d’hospitalité, qui fait de notre travail un exemple d’interculturalité et de productivité artistique, ne peut pas être bafoué. Nos droits et ceux de nos visiteurs doivent être respectés. La façon irrespectueuse dont ce contrôle a été effectué ne peut aucunement se reproduire. Ni chez nous, ni nulle part ailleurs dans notre état de droit démocratique, au cœur de l’Europe.
Nous vous demandons de fixer cette limite.
Avec nos cordiales salutations,
Le Conseil Administratif de Globe Aroma
Els Rochette, Koen Verbert, Don Verboven, Saïd Al-Haddad, Roel Kerkhofs, Karen De Cooman, Jakub Wielgosz, Koen De Leeuw, Nedjma Hadj, en Frederik Lamote