Kaaitheater 2016-2017
Au-delà de la peur et de l’indifférence
Au-delà de la peur et de l’indifférence !
Au cours de l’année passée, la culture a occupé une place centrale dans le débat public. Non pas en raison de la richesse du secteur culturel et de la qualité de ses artistes, mais d’une problématisation de la « diversité culturelle ». Les migrants constituent-ils une menace pour la culture européenne ? L’Europe peut-elle rester fidèle à elle-même avec des habitants venus d’ailleurs ? La crise des réfugiés et le terrorisme par des djihadistes du cru ont relancé le débat. Et la diversité est réduite, par facilité, à l’islam contre « l’Occident ».
« Le choc des civilisations » de Samuel Huntington paraît refaire surface. Cette analyse de 1993 suggère une série uniforme de valeurs européennes qui transcende l’Histoire à laquelle s’oppose frontalement une tradition islamique tout aussi uniforme. Mais où se situe l’uniformité ? En Europe, certains considèrent l’islam comme une menace pour nos valeurs libérales des Lumières, d’autres, à leur tour, voient ces Lumières comme un héritage qui vide les valeurs de leur sens et affaiblit les nations. Au sein de l’islam, l’uniformité est tout aussi absente. Les intégristes s’opposent à des voix progressistes comme celle de Rachid Benzine. La grandeur des deux civilisations n’est-elle pas le fruit de cette porosité, de cette ouverture aux influences extérieures et de processus politiques difficiles et conflictuels ?
Le philosophe indo-britannique Kenan Malik affirme que les positions que nous adoptons à l’égard de la diversité nous sont surtout insufflées par la peur ou l’indifférence : d’une part, les angoissés qui plaident pour l’assimilation, d’autre part les indifférents qui voient l’altérité comme une chose qu’il faut tolérer pour éviter les conflits. Malik plaide pour plus d’engagement pour conjurer le vide politique entre peur et indifférence. Il insiste sur la nécessité de respect mutuel comme base d’un débat vif et ouvert. La diversité nous permet d’élargir nos horizons et de mettre en regard des valeurs, des convictions et des modes de vie différents. En d’autres mots, la diversité permet un dialogue politique qui peut, paradoxalement, aider à créer un langage universel de citoyenneté. Mais c’est précisément ce potentiel actif, politique qui paraît effrayer tant de citoyens. Il nous faut avancer de toute urgence et ce n’est pas en réduisant des concitoyens à leur religion et en considérant « nos » valeurs occidentales libérales comme la fin de l’Histoire qu’on y parviendra.
Il est frappant de constater aujourd’hui le nombre d’artistes qui souhaitent être en lien avec le cours des choses dans le monde. L’énergie que libèrent les métamorphoses sociales de la « force du changement » met les artistes en crise. La liberté artistique, essentielle pour assurer la qualité de leur travail, devient de la sorte toujours plus souvent une autonomie engagée. La rencontre entre artiste et public revêt par conséquent un caractère politique accentué – une propriété de toute façon inscrite dans l’ADN du théâtre comme lieu de rencontre –, ce que nous oublions parfois.
Le fil rouge qui parcourt la saison 2016-2017 de bout en bout porte cette année le nom de RE:MAKE. Après la sidération du 22 mars, et en raison de la persistance des crises et conflits profonds, l’appel à la (re)constitution de notre société résonne toujours plus fort. Où se situent aujourd’hui les amorces de nouveaux idéaux de faisabilité ? Comment pouvons-nous, en tant que centre d’arts, contribuer à générer un climat dans lequel l’engagement serait une évidence et donner de la latitude à des pensées positives et utopiques ?
Nous espérons que notre programme pourra vous inspirer et contribuer, en ces temps troublés et troublants, à vous donner quelque perspective, au-delà de la peur et l’indifférence.
Référence : Kenan Malik, (Lecture Living in Diversity at Castrum Peregrini, 2 May 2016)