Lun Mar Mer Jeu Ven Sam Dim
1
 
2
 
3
 
4
 
5
 
6
 
7
 
8
 
9
 
10
 
11
 
12
 
13
 
14
 
15
 
16
 
17
 
18
 
19
 
20
 
21
 
22
 
23
 
24
 
25
 
26
 
27
 
28
 
29
 
30
 
31
 
 
 
 
 

« Il est devenu normal de prendre son temps pour expliquer quelque chose »

une interview avec Michiel Soete et Marlies Jacques

Entretien
21.12.16

Lorsque je rejoins Michiel Soete et Marlies Jacques autour de la table pour un café du matin, il reste à peine trois semaines avant la première du spectacle CAPSAICIN. On peut sentir monter la tension, mais les grandes lignes s’installent peu à peu. Ils ne sont en tout cas pas en manque de matériau. « Avec vingt-cinq acteurs, cela n’a rien d’étonnant bien sûr », explique Michiel en riant. Voici déjà quatre éléments incontournables.

Capsai-quoi ?

Michiel était déjà tombé sur le terme de capsaicin dans un spectacle précédent. Intrigué par ses connotations multiples, il décide de partir de ce concept pour engager le dialogue avec un groupe d’acteurs. Michiel : « Capsaicin est la molécule qui rend le piment piquant. Elle fait perdre le contrôle de son propre corps, elle fait couler les larmes, rougir et crier. Ces mêmes phénomènes s’observent aussi avec certaines émotions, comme la colère ou le chagrin. Cela m’a donc paru un point de départ intéressant pour improviser et se découvrir mutuellement. »
Déplacez légèrement l’accent tonique et cela donne Cap-saicin, ce qui fait penser à Cap Bonne Espérance, ou à Cap Blanc Nez. « Capsaicin serait donc le lieu où l’on peut donner libre cours à toutes ces émotions, sans jugement, le lieu où chacun peut vivre comme il ou elle l’entend. »
Une troisième connotation que le concept éveille chez Michiel est l’analogie avec le terme anglais to capsize, chavirer. « Chavirer est souvent utilisé de manière métaphorique pour indiquer l’échec, mais fait aussi référence pour une partie du groupe à des souvenirs très réels. Bon nombre de jeunes gens qui résident au Petit Château sont arrivés ici seuls, après un périple périlleux. Quand on leur parle d’une île ou d’arriver quelque part, dans leur esprit cela signifie souvent littéralement l’Europe et y créer un nouvel avenir. »

Une joyeuse bande haute en couleur

Michiel a déjà monté des spectacles avec des acteurs non professionnels issus de toutes les catégories sociales et de toute la Flandre. Après avoir vécu dix ans à Bruxelles, il était temps de réaliser un projet dans sa propre ville. Avec Marlies Jacques, qui participe à la réflexion, à la création et à la réalisation, ils ont lancé un appel pour leur nouveau spectacle. La réaction s’est révélée bien plus enthousiaste qu’ils n’avaient osé l’espérer, nous raconte Michiel. « À la première réunion, il y avait la bagatelle de quarante personnes intéressées ! Lors de la deuxième réunion, il en restait trente-cinq. La moitié des participants résident actuellement au Petit Château ou viennent de le quitter. La plupart d’entre eux sont de jeunes gens au début de la vingtaine, originaires d’Afghanistan ou d’Irak. En outre, il y a quelques véritables Bruxellois et quelques acteurs ayant participé l’année passée au spectacle De Brievenschrijver (L’écrivain public) de Globe Aroma et Simon Allemeersch aux Kaaistudio’s. Certains résidents du Petit Château ont entre-temps reçu un avis négatif et ont été expulsés du pays. Une autre partie a pris conscience qu’il ne s’agissait pas d’un atelier, mais d’un spectacle auquel il faudrait travailler quatre mois durant et a décroché. À présent, il reste une vingtaine d’acteurs qui veulent réellement s’engager. Le processus est une véritable interaction. Je tiens surtout à ce que ce soit leur spectacle et je veux juste faire office d’assembleur du puzzle. Cela me paraît plus pertinent. »

L’Arche de Noé en mille variantes

« Au fur et à mesure, nous avons lâché l’idée de créer un lieu parfait sur une île. Nous sentions que ce n’est pas de cela qu’il s’agit et qu’il nous fallait plutôt rompre et reconstruire les systèmes existants de l’intérieur. L’idée du bateau nous a en même temps menés à la mythologie. Chaque culture possède des récits de vaisseaux et de déluge, que nous connaissons sous la forme du récit de l’Arche de Noé. Mais il existe des milliers d’histoires de déluge dans le monde. La toute première version est celle de Gilgamesh, mais ce récit apparaît aussi dans l’islam. »
Des éléments récurrents de telles histoires sont la fin d’un système, une inondation, un avertissement dont il est fait fi, une tentative de survie avec une sélection d’animaux et d’humains. Les parallèles avec la crise actuelle des réfugiés sont indéniables. Néanmoins, Michiel Soete ne souhaite pas en faire un spectacle de réfugiés, par et à propos de réfugiés : « Quand on faisait une improvisation sur l’arrivée, il y avait toujours quelqu’un qui mentionnait le fait d’avoir abandonné sa famille, passé huit mois à bord d’un bateau et perdu quatre amis… Je voulais bien m’entretenir avec eux à ce sujet pendant le processus de création, mais je ne souhaitais pas littéralement en faire un spectacle. C’était un véritable défi d’utiliser les images évoquées lors des improvisations sans qu’elles en viennent à dominer l’histoire que raconte le spectacle. Je veux surtout aborder ce groupe et travailler avec eux comme avec une troupe de comédiens. Indépendamment du fait qu’ils soient réfugiés ou pas. Je ne veux pas que le public assiste avec compassion à un spectacle de réfugiés. »

La tour de Babel

Un autre récit mythologique qui a fait surface pendant les répétitions est celui de la Tour de Babel. « Lors des répétitions, nous mélangeons tout le temps toutes les langues, » explique Michiel. « Le néerlandais, l’anglais, le dari, l’arabe, le somalien, le lingala… Il est devenu normal de prendre son temps pour expliquer quelque chose et tenter de le traduire. Sur scène aussi, cette multitude de langues devient de plus en plus courante. Par moments, on ne sait plus très bien si les acteurs se comprennent ou pas. Quand un acteur s’adresse en somalien à quelqu’un qui parle dari, on a d’abord l’impression qu’ils se comprennent parfaitement, jusqu’à ce qu’on se rende compte qu’ils se comprennent aussi peu que nous les comprenons. Un élément comique que nous voulons peut-être introduire dans le spectacle. »

 

Michiel Soete et Marlies Jacques en conversation avec Eva Decaesstecker