HOW TO BE MANY ?
C’est avec la question How to be Many? que les nouvelles coordinatrices artistiques et générales Agnes Quackels et Barbara Van Lindt ont atterri au Kaaitheater. Entre-temps, elles sont à l’œuvre, elles explorent la maison et examinent la meilleure manière de faire du Kaaitheater un lieu polyphonique. Dans cet entretien, elles lèvent un coin du voile.
En tandem
Agnes : Il y a un an, nous avons chacune décidé de mettre un terme à nos emplois du moment, sans autre projet en prévision. Nous suivions depuis longtemps nos carrières respectives et avions déjà eu d’innombrables discussions de ce que pourrait être une institution artistique. Et puis, la possibilité de concrétiser ces idées s’est présentée.
Barbara : How to be Many? rassemble des questions qui préoccupent la société et le champ artistique actuellement : comment pouvons-nous, à partir de la diversité factuelle, également devenir inclusifs ? Comment cela se traduit-il en une manière d’opérer des choix artistiques et d’encadrement général ?
Projets à plusieurs voix
B : Nous venons à peine de commencer et les coupes budgétaires soudaines requièrent des choix pointus, auxquels s’ajoute une quête d’équilibre et d’égalité. Les piliers de nos projets initiaux restent notre orientation. À partir de l’énoncé How to be Many?, nous nous focalisons sur la continuité, sur une médiation vers le public plus accentuée, sur l’introduction d’une programmation open source et nous cultivons une mentalité d’institut d’apprentissage.
A : Avec la continuité, nous souhaitons préserver la responsabilité de cette maison envers les artistes et le champ artistique. On ne peut pas simplement jeter aux orties le développement du paysage artistique flamand des trente dernières années. Cela a contribué au regard que nous portons aujourd’hui sur les arts du spectacle vivant et sur la façon dont ils sont créés.
A : Nous allons confier 20 % de nos budgets et de notre programme à d’autres, surtout à des personnes et des organisations qui sont moins représentées en général. Cette idée d’open source nous vient du Centre of Contemporary Arts à Glasgow, où l’organisation (infrastructure, expertise et personnel) est proposée comme boîte à outils pour réaliser le programme de personnes extérieures à l’institution. Les premières discussions avec des organisations bruxelloises ont déjà été entamées.
B : Vers notre public, nous partons du concept sense of entitlement (sentiment d’avoir droit) : qui se sent habilité.e à parler ? Comment pouvons-nous veiller à ce que davantage de gens se sentent appelés à engager une relation avec les arts de la scène contemporains ? Nous souscrivons au mantra de Frie Leysen : « ne sous-estimez jamais le public ». Et nous y ajoutons : toujours avoir conscience qu’un public potentiel peut se sous-estimer en raison des seuils qu’il rencontre.
A : Notre mode opératoire est celui d’un institut d’apprentissage. À partir du souhait de contribuer à un avenir féministe, intersectionnel et inclusif, nous nous inspirons de pratiques existantes. Que ce soit du CCA Glasgow, de Zinnema ici à Bruxelles, de la Zurichse Gessnerallee (une équipe de direction tricéphale majoritairement féminine) ou du projet Primeira Vez du Teatro Nacional D. Maria II au Portugal.
Apprendre des expériences
A : Nous nous inspirons aussi d’expériences passées, puisque nous avons toutes deux été actives dans différents domaines au sein des arts. Moi-même, j’ai occupé diverses fonctions dans le secteur, comme la création d’un bureau de production ou la direction artistique d’un centre d’art. Ce que j’en emporte est une notion de la manière dont l’art se produit : quelles sont les conditions de travail de l’artiste ?
B : J’emporte avec moi au Kaaitheater l’expérience qu’il n’y a pas de copropriété sans copaternité de l’œuvre. Si l’on souhaite qu’une maison comme le Kaaitheater soit portée par plusieurs personnes – aussi bien des artistes que le public et les collaborateurs –, il faut les laisser participer à l’écriture du récit du Kaaitheater.
photo © Catherine Lemblé
Agnes Quackels & Barbara Van Lindt en conversation avec Eva Decaesstecker (novembre 2019, Kaaitheater)