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Elles Vivent

14.06.22

Ici vous trouvez une déscription courte du spectacle et le générique.

 

On peut sentir la présence de la forêt et elle répond!

Un texte d'Aliénor Debrocq (L'Echo, 14/06/2022). 

Ces mercredi et jeudi, c’est au Kaaitheater que l’on découvre «Elles vivent», le dernier ovni théâtral du metteur en scène Antoine Defoort . Voici le «millefeuille» narratif d’un artiste qui a installé son «bureau» au cœur de la forêt de Soignes.

De Germinal à Un faible degré d’originalité, chaque spectacle d’Antoine Defoort est une expérience saisissante dont on ressort souvent remué. À l’origine de chaque nouveau projet de cet artiste inclassable, il y a «des cohortes d’idées, dont la plupart meurent au champ de bataille», confie-t-il avec humour, piétinant avec légèreté le mythe de «l’étincelle de départ», comme s’il n’y en avait qu’une...

«Parmi les points de départ d’Elles vivent, mon nouveau spectacle, il y a ma relation singulière avec la forêt de Soignes, qui est en quelque sorte devenue mon bureau, et où j’éprouve des expériences mystiques. J’y ai découvert la vraie magie, celle qui opère au travers de ma rencontre avec l’esprit de la forêt.»

Defoort joue le jeu de s’adresser à la forêt et d’établir un dialogue avec elle: «On peut sentir sa présence et elle répond! Bien sûr, je suis conscient que c’est une histoire que je me raconte, mais ça marche, ça impacte ma façon d’être et d’avoir des idées!»

Cette «magie paradoxale», comme il la nomme, est la même que celle qui opère dans l’effet Placebo: «On organise un rituel thérapeutique, une histoire qu’on raconte au patient, et ça produit des effets mesurables, pris en compte par les études médicales. C’est une sorte de preuve scientifique que la magie existe!»

Restaurer le dialogue

Mais comment tirer parti de celle-ci pour améliorer les modalités du débat démocratique? C’est la grande question que pose Elles vivent, dont la chose politique est l’autre indéniable fil rouge: «Quel que soit l’endroit où ce débat a lieu, à la télé, entre amis, en famille le dimanche, on est nombreux à ressentir de la frustration face au dialogue de sourds, violent et polarisé, qui occupe le devant de la scène. Ces modalités de débat sont productrices de désespoir et d’agacement. Comme un grand ragoût triste», note le comédien et metteur en scène, qui insiste sur l’importance de trouver une forme théâtrale accessible pour explorer la complexité de ces imbrications d’idées tout en restant drôle, pour que chacun y trouve son compte.

«La magie paradoxale, c’est à peu près la même chose que la performativité du langage», explique Defoort: «Comment on se sert de la parole pour faire émerger une certaine réalité. C’est particulièrement frappant dans le cas de la politique et des médias. »

Déjà dans Germinal (2012), Antoine Defoort proposait une recréation du monde comprenant une allégorie de l’avènement du langage: «Ici, on propose d’élargir ce spectre à tout, y compris à la sphère politique; il suffit de dire que les Ukrainiens sont des nazis et, boum, on envahit l’Ukraine.»

Comme les mêmes idées sont remâchées sans cesse par les médias, «il est important de leur trouver de multiples expressions pour lutter contre le déclin de la biodiversité des idées», affirme l’artiste. «Certains récits deviennent hégémoniques alors qu’ils ne sont qu’une forme narrative parmi d’autres. J’aimerais qu’on sorte de cette dynamique d’opposition. Qu’on prenne en compte la pluralité des récits au lieu d’opposer des vérités qui, par nature, s’excluent l’une l’autre.»

Avec humour!

Sa proposition? Utiliser cet outil si étrange de la magie paradoxale pour reconnaître la nature fictionnelle de tous les discours. «Si on se place à cet endroit, peut-être que ça va nous aider à développer notre empathie et à trouver une porte de sortie à la catastrophe climato-sociale qui nous arrive...», lance-t-il.

Chez Defoort, l’humour est la clef de voûte d’une perpétuelle remise en question des chemins multiples que peuvent prendre le théâtre et la narration: «J’aime essayer d’aborder les choses avec un sérieux et un engagement total, que l’on va tâcher de combiner simultanément avec une désinvolture et une autodérision absolue, et toute la difficulté se loge dans la simultanéité».

L’artiste et son équipe ont imaginé un dispositif légèrement futuriste pour matérialiser les souvenirs de Michel et Taylor, deux amis qui se retrouvent en forêt après une longue séparation. Un artefact narratif très pratique pour faire des sauts dans la ligne du temps et varier le traitement formel selon le mode d’affichage... Ce «mnémoprojecteur» a en outre la capacité de retrouver la couleur des souvenirs, d’en projeter la subjectivité en hologrammes: «C’est comme ça qu’on se fabrique des souvenirs, qu’on les modifie chaque fois qu’on les convoque à nouveau...»