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De sous le bitume, les plantes des marais grimpent allègrement

Un entretien avec le collectif 431

Entretien
29.08.18

Nous faisons rendez-vous avec le collectif 431 – qui se compose de Lietje Bauwens et Wouter De Raeve – en haut de la tour n° 1 des bâtiments du WTC, à côté de la Gare du Nord et du Parc Maximilien. Des autobus passent, quelqu’un joue avec un pneu de voiture. La tour abrite de nombreux artistes investis dans le champ de tension entre promoteurs immobiliers, organisations de quartier, visions architecturales et décisions politiques. Également établi dans la tour, 431 travaille actuellement à un docudrame sur cette transition : WTC A Love Story. Pendant CITY: LAND, ils assurent le deuxième volet de la série Precarious Pavilions de Michiel Vandevelde, sur et autour de la Place de la Monnaie. Au lieu d’une tour, c’est une place publique qui est au cœur du projet. Mais qui y regarde de plus près, remarque que les chevauchements sont inévitables.

Avec Precarious Pavilions, Michiel Vandevelde invite, chaque fois dans une autre ville, un artiste ou un collectif à réfléchir avec lui aux architectures encore possibles aujourd’hui – alors que nous subissons des crises écologiques, économiques et sociales. À Bruxelles, c’est vous qui vous chargez du deuxième pavillon, the new local. De quoi s’agit-il ?

Nous nous intéressons à la façon dont nous pouvons aborder sur le plan local des défis mondiaux et abstraits, comme les changements climatiques ou les conséquences des mécanismes de pouvoir capitalistes. Avec the new local, nous partons en quête d’une conception progressiste du local qui ne se laisse pas piéger par l’illusion que les problèmes mondiaux peuvent être résolus à une échelle purement locale. En même temps, il est indispensable de pouvoir entretenir une relation physique vis-à-vis de ces changements. Cela nous amène à la notion « d’expérience » : comment peut-on l’ouvrir aussi bien au niveau temporel que spatial, de sorte que ce qui n’est pas directement présent puisse aussi être perceptible ? the new local prend pour point de départ la prémisse qu’aussi bien la raison d’imaginer des solutions à des situations précaires actuelles que notre capacité à le faire reposent toutes deux sur une ontologie occidentale et centrée sur l’homme, qui met l’accent sur le « contrôle ». Au lieu de créer d’emblée un nouveau pavillon ou d’élaborer une nouvelle proposition spatiale, nous souhaitons avant tout créer une situation qui permette la recherche de nouvelles manières de penser l’incertain et l’imprévisible et de les expérimenter sur le plan spatial.

Comment partez-vous en quête de ces autres manières d’expérimenter ?

Nous invitons différents artistes qui, tous à leur manière, tentent de ressentir, de vivre l’environnement de la Place de la Monnaie à travers leur matériau respectif. Ainsi, nous espérons aborder le lieu selon des modes inhabituels de nos jours. Nous souhaitons contribuer de la sorte au champ architectural, parce qu’en fin de compte c’est aussi de cela que traite Precarious Pavilions. Comment donner corps à un espace – local – en des temps globalement précaires ? L’architecture doit tenir compte de beaucoup d’acteurs et de facteurs. Cela réduit la possibilité de spéculer au-delà de ce qui est habituel et connu, parce qu’il n’y a pas de place pour de véritables risques. Avec the new local – et c’est à vrai dire un fil rouge à travers tous nos projets –, nous faisons un exercice théorique à partir d’un contexte artistique et performatif qui permet d’offrir une teneur plus diverse à l’approche de « l’espace ».

Helena Dietrich – l’une des artistes qui vont explorer la Place de la Monnaie – nous a relaté un atelier lors duquel il lui a fallu mener des conversations avec ses organes. Une telle approche nous intéresse, car une relation différente au corps permet d’étendre les interprétations standardisées et restrictives de ce qu’est un corps humain et d’observer quelle influence celles-ci ont sur le rapport que nous entretenons à notre environnement. Pensez aux standards que Le Corbusier, Ernst Neufert ou Henry Dreyfuss ont développés. Comment en faire l’impasse ?

Le pavillon qui se trouve sur la Place de Monnaie durant CITY: LAND ne sera pas visible pour le passant lambda. En cela, vous régissez au caractère événementiel dont la Place de la Monnaie fait l’objet depuis 2012. Pourquoi est-ce si problématique selon vous ?

Le fait qu’une place soit aménagée en vue d’y organiser des événements n’est pas problématique en soi. Mais nous critiquons la manière dont cela se déroule aujourd’hui dans le centre de Bruxelles : la ville se concentre sur le tourisme et souhaite attirer le plus de gens possible à la faveur de ces événements, alors que les habitants ne reçoivent que bien peu d’attention. L’identité de la Place de la Monnaie qui en résulte est entièrement déterminée par deux rues commerçantes avoisinantes et un centre commercial.

Comment cette critique se rapporte-t-elle à votre pavillon, qu’on pourrait en principe aussi considérer comme un événement ?

Attirer cinq jours durant trois cents personnes sur la place n’est pas une option pour the new local. En premier lieu, nous demandons aux artistes d’effectuer des tests spatiaux pendant la journée, chacun à partir de son point de vue personnel. Ces interventions sont documentées et présentées en soirée dans un bâtiment en face de la place (rue des princes 12). Ainsi, la place reste dégagée et les artistes peuvent vraiment tester la façon dont ils ressentent le lieu et ce qui y est possible. Le soir, nous les invitons, avec d’autres hôtes, à poursuivre et étendre la discussion. De cette façon, nous espérons neutraliser l’aspect événementiel et laisser de la latitude à une recherche sereine et fouillée.

Une partie de the new local se déroule à Miami. Qu’ont ces deux villes en commun ?

Miami est une ville du XXIe siècle sous stéroïdes : capitalisme paroxystique et consumérisme exacerbé. Ce que nous observons aussi Place de la Monnaie – toutes proportions gardées – et que nous voulons éviter à tout prix. Par ailleurs, les conséquences du réchauffement climatique sont très tangibles à Miami : le niveau de la mer monte à vue d’œil et il y a une augmentation manifeste des ouragans. Ces conséquences sont si visibles que la ville a déjà été contrainte d’entreprendre des actions concrètes. L’idée qu’il nous faut pouvoir prédire toutes les menaces et savoir comment s’y attaquer est très actuelle, mais se limite à notre connaissance et nos expériences humaines, au lieu de reconnaître la nécessité de tirer des leçons de la situation écologique. Ainsi, Miami est bâti sur des terres marécageuses – tout comme Bruxelles d’ailleurs – et la ville a beaucoup de mal à contenir l’eau. Lorsque des plantes de marais apparaissent dans des parties délaissées de la ville, on a l’impression que la nature assaille l’être humain. Mais les marais, la nature et la terre de la région sont écrasés sous le béton depuis la fondation de la ville. Nous nous intéressons à ce rapport entre le contrôle – ou en tout cas l’illusion d’exercer un contrôle – d’une part, et le développement d’une attitude ouverte d’autre part, susceptible de s’accroître en parallèle des incertitudes de notre environnement.

Comment intégrez-vous le récit de Miami dans le pavillon bruxellois ?

Initialement, nous voulions nous rendre à Miami pour y analyser nous-mêmes la situation et publier une série d’interviews à ce sujet. Mais ce vol est un parfait exemple de la manière dont l’aspect abstrait du changement climatique devient un choix personnel. Nous avons donc décidé de chercher une approche alternative. Comment faire l’expérience de Miami sans y être physiquement ? Nous avons cherché quelque chose qui rejoint l’esprit de l’invitation à explorer la Place de la Monnaie que nous avons lancée à des artistes. L’objectif est que l’activiste/artiste Rozalinda Borcila élabore une promenade à travers la ville dévoilant les mouvements financiers et politiques qui déterminent et utilisent à mauvais escient le langage visuel autour de la crise climatique. Comment développer d’autres concepts et récits qui renoncent aux conceptions colonialistes ? La vidéaste Naïmé Perrette relie le matériel vidéo avec ses propres images réalisées à Bruxelles. Cette installation constitue aussi bien la scénographie de l’espace en ligne que des présentations en soirée.

Prenant pour point de départ la critique de la Place de la Monnaie actuelle : à quels critères devrait répondre une place publique selon vous ?

Nous sommes tellement habitués à considérer les choses à partir d’une certaine envie qu’on en oublie souvent les contours. Nous trouvons certains produits tellement importants que nous souscrivons tacitement aux conditions déplorables dans lesquelles ils sont fabriqués ou que leur fabrication entraîne des déforestations.

Au sein de notre collectif, nous cherchons assidûment à développer une pensée intégrale, qui prenne en considération le tableau complet et perçoive la façon dont les différentes constructions sociales s’imbriquent et interagissent. À vrai dire, les crises mondiales ne nous laissent pas vraiment d’autre choix. Une telle vision inclusive émerge dans bon nombre de théories actuelles : l’accent n’est plus uniquement mis sur l’être humain, mais aussi sur les acteurs non humains et leurs relations mutuelles. Mais en fin de compte, nous sommes bel et bien des humains et ce serait insensé de l’ignorer. La question qui s’impose dès lors est : comment pouvons-nous, en tant qu’être humain, développer une telle faculté d’expérience intégrale ? C’est sur cela qu’il faut se pencher en premier lieu, avant de pouvoir formuler ce à quoi une place publique doit répondre selon nous.

Nous avons toutefois confiance dans le potentiel de l’art à ouvrir des portes vers des possibilités qui ne sont pas porteuses de formes de production de savoir standardisées. Au lieu de demander à des architectes d’organiser des ateliers et de commander une recherche en vue de produire un projet, nous sélectionnons des artistes uniquement pour observer la place et offrir de la sorte un tout autre éventail d’expériences. Le collectif d’architecture Parasites 2.0 réagira aux interventions par le biais d’un texte rédigé à partir d’une perspective de projet, ce qui fait qu’un premier pont vers une interprétation architecturale de notre expérience apparaît déjà.