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Interview
08.02.23

Here you find a short description of the performance and the credits.

 

C’est une boucle sans début, ni fin

interview by Sylvia Botella (Théâtre National, septembre 2022.)

Plutôt que de choisir entre les diverses disciplines, Phia Ménard préfère toutes les embrasser. Elle impressionne à nouveau en présentant deux pièces : L’après-midi d’un foehn Version 1 et Les Enfants terribles. À la fois très réfléchie et dotée d’une force d’imagination sidérante, nous avons rencontré Phia Ménard. Avec la vie en ligne de mire.

Pouvez-vous nous dire quelques mots sur Les Enfants terribles ?

C’est une pièce de commande de l’Opéra de Rennes. Après In Arcadia Ego sur des musiques de Jean-Philippe Rameau comandé par Olivier Mantei par le Théâtre National de l’Opéra Comique en 2016, c’est mon deuxième opéra.

J’ai souvent refusé ces commandes parce que je ne savais pas quoi faire des livrets. Si j’ai accepté de le mettre en scène, c’est parce que la musique de Philippe Glass nourrit mon imaginaire depuis trente ans. Même si je ne suis pas une fan de l’œuvre de Jean Cocteau, Les Enfants terribles reste pour moi une œuvre très intéressante. Écrite en 1929, elle parle de la passion ! La passion que l’on redoute, lorsqu’on l’a vécue. Mais dans laquelle on saute immédiatement à pieds joints, si on nous en donne encore la possibilité.

Les Enfants terribles, c’est l’histoire « incestueuse » de deux frère et sœur, Paul et Elisabeth. C’est aussi l’histoire d’amour « homosexuelle » de Paul pour Dargelos qui réapparait sous les traits d’une femme, Agathe. Il y a là quelque chose de très avant-gardiste pour son époque et de l’ordre de la transition même si elle n’est pas ainsi nommée.

Lorsque j’ai commencé à travailler sur la partition musicale, j’ai très vite réalisé que Philippe Glass ne se référait pas au livre mais au film éponyme de Jean Pierre Melville sorti en 1950. Tous les temps de composition sont calqués sur le film, y compris les dialogues. Ce qui n’est pas sans difficultés. Car même si Philippe Glass aime passionnément la langue française, il est américain. Il n’en comprend pas toutes les subtilités. La langue qui y est parlée, n’est plus la langue d’aujourd’hui. C’est peut-être la langue que parlaient mes parents. D’où l’envie de voir sur le plateau « mes parents » devenir des adolescent·es que je dois contrôler en permanence pour ne pas qu’i·els vrillent.

Certain·es spectateur·ices qui connaissent mon travail et qui découvriraient aujourd’hui Les Enfants terribles, pourraient s’étonner. Car à moins de réécrire le livret, comme c’est par exemple le cas de L’inondation de Joël Pommerat inspiré de Evgueni Zamiatine, on ne peut pas être totalement « radical·e » dans un opéra. Dans Les Enfants terribles, je détourne seulement l’objet.

Quatorze années séparent les pièces L'après-midi d'un foehn Version 1 et Les Enfants terribles. Comment ces créations s’inscrivent-elles dans votre parcours ? Que disent-elles de vous ?

Je pense que personne ne m’aurait proposé en 2008 de créer Les Enfants terribles, ni même d’enseigner dans les écoles d’art comme c’est le cas aujourd’hui. Ce sont les formes que je crée qui interrogent et suscitent l’envie de travailler avec moi.

Même si je ne suis pas une fan d’opéra, j’éprouve le désir de m’y confronter. Car il y a dans la relation entre la musique et le chant, un champ des possibles. C’est parce que quelque chose s’est passé, que l’on m’invite à la Documenta 14 ou à mettre en scène un opéra. Il peut sembler y avoir des grands écarts dans mon travail, mais en réalité ils constituent un seul et même chemin artistique. C’est le mien.

Dans Les Enfants terribles, on observe une sorte de continuum, entre les diverses disciplines (opéra, cinéma, littérature), entre les époques de l’opéra de chambre, du film et du livre ou entre les âges des acteur·ices et des personnages. Cela signifie- t-il que le caractère « continué » est la seule possibilité d’une expérience de liberté, pour vous ?

Le continuum, c’est tout simplement se sentir en vie. Alors que beaucoup rêvent de surfer sur la vague, je préfère l’embrasser que monter dessus. Il y a aussi une sorte de continuum entre les deux pièces. Elles tourbillonnent, chacune à leur manière. C’est presque cosmique.

Nous ne cessons pas de respirer. Pourtant, dès que nous pensons à respirer, nous nous apercevons que nous respirons et que nous oublions. Comme nous oublions que nous nous déplaçons à une vitesse folle dans l’espace. C’est ce qui me raccroche constamment à la sensation de vie. À l’évidence, il y a dans le continuum, toutes les possibilités de jouir encore.

C’est le privilège de l’âge. Nous apprenons à discerner ce qui compte et ce qui ne compte pas. Nous n’explorons plus dans tous les sens. Si nous explorons un endroit, c’est parce que nous savons qu’il y a quelque chose d’intéressant à explorer. Certes, nous avons moins d’énergie mais nous avons la qualité de l’énergie pour entretenir ce continuum. C’est une boucle sans début, ni fin. C’est ce qui est beau à vivre.

Y a-t-il des frontières à conquérir ?

C’est amusant que vous me posiez cette question. C’est le sujet de ma prochaine pièce Article 13 qui ouvre un nouveau cycle sur la déconstruction. Puisque nous sommes sur des ruines, que gardons-nous d’elles ? Pouvons-nous garder indéfiniment la mémoire des ruines ? Est-ce que ce n’est pas justement ça qui nous piège ?

Il y a toujours des frontières à franchir. Il faut très certainement repenser la relation entre la culture et nature. Entre autres, le réchauffement climatique a le mérite de nous inciter à réintégrer la nature. Ce qui, dans le même mouvement, signifie perdre sa culture dans le sens de penser. Et se remettre plus radicalement à l’endroit du vivant. Je ressens cette nécessité.