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Savoir plus - X! (une opéra fantastique)

Feuille de salle
21.11.22

Ici vous trouvez une description courte du spectacle et la distribution.

 

Moi, je suis politique par mon existence.

entretien avec Gérald Kurdia, propos receuillis par Caroline Simonin (Festival d'Automne de Paris).

Vous êtes un.e artiste pluridisciplinaire, musicien.ne, performeur.euse, dont le travail à la croisée des disciplines a pu rencontrer des formes aussi variées que le DJing, la photographie, le documentaire, le stand-up, la chorale.

Gérald Kurdian : J’ai étudié aux Beaux-Arts dans les années 2000 au moment où on était moins attaché à une discipline que dans une envie d’utiliser un medium ou un autre pour porter un concept. Je viens du DIY (=Do It Yourself), je peux apprendre sur le tas ou faire avec les moyens du bord. Cela raconte déjà une esthétique et un positionnement politiques qui vont à l’encontre du système dominant. Par exemple pour ma première pièce, 1999, que j’ai créée en 2009 aux Inaccoutumés, j’ai composé une comédie musicale de science-fiction, avec un appareil photo et des instruments bricolés.

La musique est peut-être la discipline prépondérante dans votre travail. Quelle place singulière occupe-t-elle ?

G. K. : Elle est une forme de journal qui me permet de prendre des notes sur le quotidien qui raconte les états intérieurs, vrais ou non, du personnage de Gérald que j’ai créé. La musique est aussi pour moi un outil pour “désarmer les spectateurs”, dans la mesure où elle permet aux affects de circuler dans les corps, les subjectivités.
Elle a, d’autre part, une utilité, un rôle social et politique. L’histoire des clubs et de la musique électronique est une histoire des marges, avec les raves parties, l’acid house, l’acid techno. La disco et la house music ont à voir avec l’histoire des cultures noires et latino-américaines. Puis il y a eu le voguing, dans les années 80 et 90. Le Pulp, une boîte lesbienne avec des figures qui retournent stylistiquement le DJ set, comme Jennifer Cardini, Chloé ou DJ Sextoy, a proposé dans les années 2000 des alternatives aux formes de musiques produites dans les studios français, très masculins. Ça a rendu possible l’émancipation LGBT et queer. Le Label Kill the DJ a ouvert la porte à toute une génération…

Vous créez HOT BODIES OF THE FUTURE pour justement donner une place à la marginalité et permettre au corps de s’émanciper, d’être soi-même.

G. K. : Après avoir travaillé dans le milieu de la pop francophone où je ne trouvais pas ma place, j’ai voulu parler de cet inconfort, de ce qu’est être une personne minorisée qui navigue entre des univers marginaux et des scènes dominantes. HOT BODIES OF THE FUTURE a commencé comme un projet de recherches performatives et musicales sur les micropolitiques queer et les formes alternatives de sexualité. C’est devenu une boîte de production et un label inclusif. On pose la question du rôle de la musique dans les luttes marginales et de la manière dont elle devient un endroit de refuge et de réparation. Cela a commencé avec trois projets : les HOT BODIES CHOIRS, des chorales qui regroupent des personnes volontaires issues des luttes queer, décoloniales ou féministes autour d’une pratique d’écriture et de chant choral (une chorale aura lieu au T2G en septembre) ; les soirées HOT BODIES CLUB qui présentent des formes variées, conférences, films, performances, et se terminent en club, pensées sur un principe d’inclusivité absolue, accessibles en fauteuil, avec des traductions en langue des signes ; et puis mon solo HOT BODIES STAND UP, qui est la poursuite de mon journal. Dans les premiers chapitres, je racontais ma découverte des luttes et milieux écosexuels, des émanations de l’écoféminisme mené notamment par un couple de femmes artistes américaines, Annie Sprinkle et Beth Stephens, proches des nouvelles formes de sexologie qui sont du côté du soin et luttent contre les dommages du capitalisme dans les corps. X ! (un opéra fantastique), s’inscrit dans cette lignée.

Votre travail artistique est intimement lié à un engagement militant.

G. K. : Je ne sais pas si je fais un travail militant, mais je sais que ça m’intéresse d’utiliser la confiance qu’on me donne et les moyens et fenêtres qu’on me propose pour visibiliser les formes militantes qui peuvent l’être, bien que tout ne puisse pas être exposé sur un plateau. Si certains corps minorisés sont exposés dans un contexte institutionnel, il y a un risque d’appropriation et de tokénisation ou de washing qui peut être dommageable. Il peut être plus précautionneux de renvoyer à un travail documentaire déjà visibilisé. Moi, je suis politique par mon existence. Moi qui décide de parler sur un plateau d’abus, de transition, de rapport à mon corps et de visions dysmorphiques ou dysphoriques, ça devient un geste de visibilisation, militant. Je fais un travail sexpositive. Je parle d’une pratique de réparation qui inclut le travail décolonial, féministe, post-féministe et xénoféministe, la lutte anti-grossophobie, tous les corps qui subissent des dommages malheureusement initiés par le même système.

X ! (un opéra fantastique), est une fable musicale poétique et politique. Que vient agiter le spectacle ?

G. K. : X ! vient agiter l’histoire de l’opéra, des grandes scènes, des interprètes, de l’orchestre, de tous ces choix issus en partie des cultures bourgeoises. C’est une autofiction qui met en scène Gærald - une possibilité pour moi de fluidification, pour ne pas dire de féminisation, d’une affirmation non binaire - mais c’est aussi un documentaire, une histoire des marges. Tous les documents vidéo et photo qui ne sont pas dans la 3D sont réels. Je rencontre des personnes qui essaient de répondre aux problèmes que les corps contemporains rencontrent avec leur sexualité et leur rapport au plaisir pour en dénouer les traumas.

Comment s’articulent le plateau et la 3D ?

G. K. : Les personnes que j’ai rencontrées ont été filmées sur fonds verts, et leurs silhouettes sont réincrustées dans l’univers en 3D (une île) sous des modes très divers. L’image est multiple. Le décor, mobile, s’inspire des toiles peintes classiques de l’opéra. Il s’anime par l’effet de la projection 3D.

Et la fiction et le documentaire ?

G. K. : C’est vraiment une fable. On arrive sur une île qui souffre d’un mal mystérieux. Tous les personnages que l’on rencontre dans l’histoire essaient de le résoudre. Les stratégies réelles des activistes réels deviennent des réponses. Pour construire mon récit je m’inspire de la science-fiction, la fabulation féministe d’Ursula Le Guin ou celle d’Octavia Butler, qui rappellent l’importance d’inventer d’autres mythologies, non normatives, d’agir sur les imaginaires pour permettre le changement social.

X ! est un opéra solo pour un interprète et une intelligence artificielle.

G. K. : La musique est vraiment le fruit d’une collaboration entre moi et une intelligence artificielle. J’ai confié à l’IA le rôle de la partie orchestrale, et je prends en charge un important travail sur les mutations possibles de la voix, de l’intime au spectral. La volatilité de la voix dans le domaine électronique est aussi une manière de parler de l’identité et du rapport à soi.

Dans la première partie, the HOST, un personnage un peu troubadour que j’incarne, et un androïde nous présentent les chapitres de l’opéra. Après on entre dans l’opéra. L’Intelligence Artificielle apprend depuis des mois des thèmes d’opéra classique (de Purcell à Verdi), de manière structurelle : les ouvertures, les arias, les ballets… et elle va composer de nouvelles parties qui sont jouées par un mini-orchestre de synthétiseurs. Avec la musique j’aimerais toucher et concerner tous les corps, car nous subissons tous et toutes les dommages d’un système qui nous met sous pression. Le jeu vidéo et le cinéma, notamment à travers la figure du héros, deviennent ici des références communes à tous.