Les primo-arrivants, où sont-ils encore en sécurité?
Ce vendredi 9 février, une vingtaine d’agents de la police fédérale a envahi Globe Aroma, centre artistique bruxellois qui accueille depuis quinze ans des primo arrivants-artistes. La police évoque un contrôle « multidisciplinaire », comme s’il s'agissait là d'une forme d'art. Plusieurs témoins ont surtout vu une razzia très agressive et brutale.
Pourquoi tant de démonstration de pouvoir ? Bien que non officiellement, il apparaît que cette action soit conforme au « Plan Canal » du ministre Jan Jambon. Le but n’était-il pas de scanner la zone Canal-Bruxelles pour détecter les signes du radicalisme, du terrorisme et de l'extrémisme violent ? Apparemment, cela justifierait entre-temps aussi l'assaut des associations sociale et culturelle.
Vendredi, sept artistes sans papiers ont finalement été arrêtés. Ils auraient participé à l’ouverture d’une exposition de la Ville de Bruxelles avec aussi le travail des artistes de Globe Aroma. Ils ont fini la nuit derrière les barreaux ! Entre-temps deux d’entre eux se trouvent dans un centre fermé et quatre autres ont obtenu un ordre de quitter le territoire.
Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que les initiatives culturelles et sportives avec un large objectif de diversité urbaine bruxelloise sont soudainement envahies par les agents de police. Il y a quelques mois, cela s’est passé aussi chez deux organisations socio-sportive dont une fois pendant un cours chez des enfants de six à huit ans.
Ces raids musclés vont au-delà de notre approche nationale des sans-papiers. La prise en otage du travail de jeunesse ou des associations culturelles témoigne d’intimidation politique pure. Elle vise non seulement les sans-papiers, mais aussi tous ceux qui y font face consciemment ou inconsciemment. Les citoyens qui viennent en aide aux migrants sans-abri dans le Parc Maximilien en leur offrant un endroit pour dormir, peuvent en témoigner. Même les gens ayant des papiers, qu’ils viennent d’ici ou d’ailleurs, sont traumatisés par cette razzia et sont tout sauf optimistes quant à l'évolution de notre climat culturel.
L'invasion de Globe Aroma indique une schizophrénie croissante. Au plus les décideurs politiques prônent une intégration active, au plus sévère est leur approche contre toutes sortes d'initiatives offrant aux nouveaux arrivants un espace ouvert pour qu’ils puissent par leurs talents contribuer au vivre ensemble de notre société. Notre politique d'intégration risque de dérailler dans son contraire.
Il n’y a pas moins de trois ans, le ministre flamand Gatz a appelé notre secteur culturel à s'impliquer dans la crise de l'asile, à travers des projets avec des nouveaux venus: «L'art et la culture peuvent être un baume pour les réfugiés ». La Ville de Bruxelles subventionne également Globe Aroma et d'autres organisations socioculturelles en raison de leur travail avec les nouveaux arrivants et les demandeurs d'asile, avec ou sans papiers. C’est comme ci le gouvernement soufflait chaud et froid.
Après l’épisode de vendredi, il souffle avant tout froid. En moins de deux heures, l'invasion intimidante de la Police Fédérale et du SPF Finances a fait disparaître toute la confiance que Globe Aroma avait accumulée depuis quinze ans auprès de son public: « Ici ce sont vos talents qui comptent, pas vos papiers». Adieu à ce havre de sécurité créatif, qui, pour ce type d'organisations à bas seuil, est crucial pour faire le travail culturel que les politiciens eux-mêmes demandent.
Qui va suivre? Dans le cadre du décret flamand sur la participation, 22 organisations ont récemment reçu une subvention pour des projets de participation avec des groupes cibles vulnérables dans les domaines de la culture, du travail de jeunesse et du sport). Ces dernières années, plusieurs projets se sont concentrés spécifiquement sur les primo arrivants et les réfugiés, tels que : Refu-Interim, Cinémaximiliaan, le réseau United stages qui s’est créé à Bruxelles. Ces projets figurent-ils maintenant sur une liste noire ? Peuvent-ils bientôt s'attendre à une descente de police, sous le couvert d'une vérification spéciale de la législation à but non lucratif?
Le «baume» risque de devenir un piège. Quel réfugié ou demandeur d'asile se tournera vers une organisation culturelle ou sportive en toute tranquillité? Quel travailleur culturel, jeune ou sportif ose encore ouvrir la main ou ouvrir la porte dans ces circonstances?
Lorsque des terroristes dangereux et des artistes pacifiques sont mis dans le même panier par nos décideurs, ils devraient surtout commencer à se demander ce qui ils sont devenus eux-mêmes. Alors que les habitants les plus vulnérables de nos villes deviennent des gibiers sauvages, nous faisons tous partie d'un terrain de chasse. En effet, si l'on soupçonne chaque humanité envers les nouveaux venus, et que l'on craint constamment les invasions d'agents pour les sans-papiers, notre société éclairée devient un état policier sombre.
L'invasion de vendredi au Globe Aroma n'est pas un détail. Si de nombreuses petites solutions aux problèmes d'intégration apparaissent comme le problème majeur, nous approchons d'une frontière essentielle: la frontière entre les droits humains fondamentaux en tant que développement culturel et la violence aveugle de l'Etat. Pointer les armes vers les personnes qui pratiquent le fitness ou le théâtre est au-delà de cette limite.
C'est pourquoi nous exigeons un signal clair de nos décideurs, les ministres Jambon, Gatz et Muyters (ministre du sport) et du côté francophone Alda Greoli pour la culture et Rachid Madrane pour le sport. Allons-nous arrêter avec nos préoccupations culturelles ou sportives pour les primo arrivants, ou arrêtez-vous de leur faire peur? La réponse nous apprendra pour quel type de « Vivre ensemble » nous voterons bientôt.
Signataires:
Guy Gypens (Kaaitheater), An Van den Bergh (Demos), Frie Leysen (curator), Els Rochette (Globe Aroma), Myriam Stoffen (Zinneke), Michael De Cock (KVS), Mohamed Ikoubaân (Moussem), Tom Bonte (Beursschouwburg), Christophe Slagmuylder (Kunstenfestivaldesarts), Ann Olaerts (RITCS), Dirk De Clippeleir (AB)